La politique monétaire américaine n’est peut-être pas encore suffisamment restrictive
Christophe Morel, Chef économiste chez Groupama Asset Management, analyse les déclarations de la Fed au cours de la dernière conférence de presse .

Lors de la conférence de presse qui suit le comité de politique monétaire de la Fed, J. Powell a reconnu deux faits qui questionnent la crédibilité de la banque centrale américaine :
- d’une part, il a effectué son mea culpa admettant que la Fed avait commis des « erreurs » dans sa régulation bancaire. Ce faisant, cela interroge évidemment sur le rôle de la Fed dans sa fonction de surveillance financière.
- D’autre part, J. Powell a admis que le taux de chômage était plus bas que lorsque le resserrement monétaire a démarré. Ce taux de chômage s’établit désormais à 3,4%, un plus bas historique depuis 1969 (graphique 1).
Depuis un an, la publication des chiffres de créations d’emploi aux États-Unis n’a cessé de surprendre le consensus des économistes (graphique 2) ! Cette résistance du marché de l’emploi après une hausse des Fed Funds de 500pdb en 14 mois pourrait suggérer que la politique monétaire de la Fed est devenue inefficace. Là encore, cela questionnerait la crédibilité de la Fed dans son rôle de garant de la stabilité des prix.


Source : Bloomberg – Calculs : Groupama AM
Nous pensons que la question de la crédibilité de la FED est légitime. Mais si la politique monétaire n’a pas encore « mordu » sur l’emploi, ce n’est peut-être pas parce qu’elle serait devenue inefficace. C’est peut-être parce qu’elle n’est pas encore suffisamment restrictive.
En fait, « l’équilibre monétaire » a changé depuis les annonces de plans d’investissement publics. Les États allongent l’horizon, forçant tout l’écosystème à allonger également l’horizon. Cela crée alors une impulsion sur l’investissement privé qui est perceptible dans les statistiques d’investissement qui « sortent par le haut » (graphique 3). Si le taux d’investissement augmente, cela doit se traduire par une tension sur la disponibilité de la ressource financière à travers son prix, le taux d’intérêt. Les taux d’intérêt d’équilibre (ou « neutres ») sont donc plus hauts. Dans le « monde d’avant » de forte aversion au risque, les taux d’intérêt nuls étaient le symptôme d’un faible investissement. Désormais, la remontée des taux d’intérêt correspond à une économie plus « saine » dans le sens où la croissance repose davantage sur un ressort de long terme, l’investissement.
A ce changement de paradigme sur l’équilibre « réel », s’ajoute un nouvel équilibre « nominal ». En effet, les transitions économiques sont par nature inflationnistes parce qu’elles imposent un changement de modèle économique. Elles exigent beaucoup de ressources (matières premières, capital humain) qui n’existent pas en quantité suffisante. Les transitions économiques provoquent donc une pression haussière sur les prix.

Source : Bloomberg – Calculs : Groupama AM
Pour le moment, la Fed maintient son estimation du niveau d’équilibre sur les Fed Funds à 2,5%. Sachant que sa cible d’inflation est à 2%, cela signifie qu’elle évalue à 0,5% le taux directeur d’équilibre en termes réels. Nous pensons que cette estimation est trop basse pour deux raisons. D’abord, le nouveau paradigme Investissement-Épargne suggère que le taux directeur d’équilibre réel se situe actuellement autour de 1% (graphique 4).
Ensuite, le régime d’inflation est sans doute désormais plutôt à 3% qu’à 2%.
Dès lors, nous évaluons les Fed Funds d’équilibre autour de 4%. Dans ces conditions, le niveau actuel des Fed Funds à 5.15% n’est peut-être pas encore suffisamment élevé au regard de cet « équilibre » de 4%. La politique monétaire ne semble pas assez restrictive pour réduire la surchauffe sur le marché du travail (graphique 5). Et lorsque la Fed révisera à la hausse le niveau des Fed Funds d’équilibre, tous les acteurs qui ont recours à des règles quantitatives de politique monétaire pour déterminer la trajectoire des taux directeurs, réhausseront immédiatement la valeur terminale des Fed Funds. Même si la Fed fait une pause dans le resserrement monétaire, le risque reste haussier sur les taux directeurs.


Source : Bloomberg – Calculs : Groupama AM