15 décembre 2016

L’évaluation financière de l’entreprise débute par l’analyse de sa gouvernance

Par Marie Pierre Peillon, Directrice de la Recherche de Groupama Asset Management, Présidente du Comité Investissement Responsable à l'AFG

Depuis une quinzaine d’années, d’Enron, Vivendi ou Worldcom, au cours des années 2000, à Volkswagen, plus récemment, les crises directement liées aux enjeux de gouvernance se sont multipliées au sein des entreprises, avec des dommages considérables sur leur valorisation financière. Ces crises se traduisent pour le créancier et l’actionnaire par une perte de confiance et une dilution de valeur, démontrant la nécessité de bien anticiper les risques.

N’oublions évidemment pas, en toile de fond, la mutation profonde que traversent nos économies : réchauffement climatique et nécessaire transition vers une économie moins  » carbonée « , évolution démographique, entre vieillissement de la population et flux migratoires, et révolution numérique. Ces bouleversements structurels et inédits appellent la clairvoyance des organes de gouvernance des entreprises pour adresser de tels défis.

Comment appréhender la qualité de la gouvernance d’une entreprise ? L’analyse repose traditionnellement sur quatre piliers incontournables. Concernant les deux premiers piliers, il s’agit, d’une part, d’évaluer le respect des droits des actionnaires minoritaires par le conseil d’administration de l’entreprise, d’autre part, de mesurer la qualité du management opérationnel (à l’aune des résultats de l’entreprise ou, le cas échéant, de profit warning).

La viabilité des procédures et structures de contrôle constitue le troisième objet d’analyse. L’enjeu est d’évaluer non seulement les compétences du conseil d’administration, mais aussi de s’assurer de son indépendance vis-à-vis de la direction exécutive de l’entreprise. De ce point de vue, force est de constater qu’un management efficace sur les seuls plans stratégique et opérationnel ne va pas toujours de pair avec une gouvernance fiable de l’entreprise. Des dirigeants font preuve d’une grande habileté pour repositionner favorablement une marque, concevoir les produits les plus innovants, réaliser des opérations d’acquisition recelant de la croissance… mais finalement peu ou mal encadrés par les structures de contrôle ! Le conseil d’administration est-il en mesure de jouer pleinement son rôle de contrôle lorsque le management opérationnel de l’entreprise y est omniprésent ? Ce type de faiblesse du régime de gouvernance fait figure de risque, mais reste malheureusement sous-pondéré par le consensus de marché, qui préfère louer les capacités d’exploitation de l’équipe dirigeante.

En outre, l’évaluation de la structure des comités de rémunération et des critères de rémunération des dirigeants reste un point d’attention majeur. Si la part variable des revenus des cadres du top management a, pendant longtemps, été exclusivement liée à la progression du cours de bourse, les sociétés se doivent désormais d’intégrer des critères extra-financiers et durables dans la construction des bonus de leurs dirigeants. Pour les analystes, le ratio entre les rémunérations médianes au sein d’une entreprise et celles de la direction, est un exemple d’indicateur riche d’enseignements sur les équilibres salariaux et sociaux. Une firme accordant des hausses de rémunération à ses dirigeants alors même qu’elle est en pleine phase de restructuration ou de  » cost-cutting « , envoie un message négatif à ses actionnaires.

Enfin, le quatrième et dernier pilier de l’analyse de la gouvernance est celui du contrôle externe et de la transparence. Il s’agit d’apprécier la communication financière et extra-financière de la société. A l’ère d’un monde ultra-connecté, qui se caractérise notamment par l’inflation quantitative de l’information, il est essentiel d’appréhender la qualité des données publiées par l’entreprise, mais aussi par les auditeurs externes. La disponibilité des informations est incontestablement au coeur du travail des analystes financiers, puisque ce sont ces données qui forgent la lisibilité du business model de l’entreprise évaluée.

En conclusion, rappelons les enseignements de l’étude du FMI publiée en octobre dernier, sur La gouvernance d’entreprise et la protection des investisseurs, dans laquelle il était constaté une amélioration de la gouvernance d’entreprise dans les pays émergents, ces vingt dernières années. Gageons que cette tendance s’affirme durablement, à commencer par les entreprises des économies développées. Car le respect d’une bonne gouvernance n’est pas un acquis, mais plutôt une course de fond pour les directions d’entreprises !