Perspective sectorielle du secteur pharmaceutique
Analyse sectorielle par Alice-Mary Meggs, Analyste chez Groupama AM.
Les Etats-Unis, le marché incontournable de l’industrie pharmaceutique
Dans tous les pays de l’OCDE, sur les 20 dernières années, la hausse des dépenses de santé et l’amélioration de l’espérance de vie affichent une parfaite corrélation… Un pays fait exception, les Etats-Unis. Il se distingue par une inflation sans commune mesure des dépenses de santé par habitant qui avoisinent aujourd’hui les 10 000 $, soit 17.2% de son PIB alors que l’espérance de vie plafonne sous les 79 ans.
Cette contreperformance s’explique par deux phénomènes :
- Le mode de vie américain, où 38% de la population souffre d’obésité (contre 17% en France), dont les facteurs de morbidité sont sans appel[i].
- Le système de santé américain, largement privatisé et intermédié, qui favorise l’inflation des dépenses.
Il n’est donc pas étonnant de voir que ce pays capte à lui seul près de 50% des parts de marché de l’industrie pharmaceutique : les américains dépensent près de 836$ par an en médicaments, les français 502 $. Le secteur a même fait consensus contre lui lors de la dernière campagne présidentielle américaine quand Hillary Clinton et Donald Trump se sont offusqués de l’inflation des prix de certains médicaments, promettant de faire baisser leur prix.
Ces éléments conjoncturels, ajoutés au fait que l’industrie connaissait alors l’expiration de brevets emblématiques et accusait un certain retard dans les nouvelles découvertes, ont clairement pesé sur le secteur. Désormais dans l’œil du cyclone sociétal, les acteurs ont tout intérêt à soigner leur pricing et à délivrer des traitements dont la valeur est prouvée.
Un secteur qui devra trouver des relais de croissance grâce à la R&D
Le médicament connait un cycle de R&D long et couteux : il faut en principe 12 ans de recherche avant de lancer un traitement ce qui mobilise un capital humain ultra-qualifié (qu’il faut attirer et retenir) et des fonds de l’ordre d’un milliard d’euros par molécule. En conséquence, sa commercialisation est protégée par un brevet pendant 10 ans. Après quoi, sa composition tombe dans le domaine public ce qui ouvre la voie aux médicaments génériques, entrainant jusqu’à 80% de perte de revenus pour les entreprises pharmaceutiques. Près d’un tiers moins cher, leur emploi est encouragé, si bien qu’aux Etats-Unis, ils atteignent 90% des volumes. Cependant, avec moins de barrières à l’entrée, le segment des génériques est largement menacé : il connait des baisses des prix là où les médicaments brevetés enregistrent une simple décélération de hausses de prix.
La R&D est bel et bien le nerf de la guerre ! Le secteur pharmaceutique consacre en moyenne 10 à 15% de son chiffre d’affaire à la recherche[i]. Et sans surprise ce sont les valeurs qui consacrent le plus de budget à ce poste qui voient leur « pipeline » de produits s’enrichir. Les médicaments de spécialité, qui servent à traiter les maladies chroniques ou complexes, sont en effet le relais de croissance attendu du secteur.
Beaucoup de lancements dans le domaine de l’immuno-oncologie (traitement des cancers par le système immunitaire), des maladies infectieuses jusqu’ici incurables (hépatite C, VIH), les maladies neurodégénératives et les maladies rares devraient être autorisés d’ici à 2020. Et si les payeurs font pressions à la baisse sur les prix, ils jouent le jeu de l’accélération des autorisations pour les traitements à forte valeur ajoutée.
Un secteur aux fondamentaux sains au cœur de nos transitions sociétales
Le secteur a un rôle sociétal à jouer comme nul autre. Il est au cœur de la transition démographique : vieillissement, modes de vies, inégalités. Notre approche intégrée financière et extra-financière nous encourage à mettre en exergue ce point.
L’industrie pharmaceutique concentre à elle seule l’une des plus belles ‘additionalités’ sociétales : soigner, guérir, mais aussi l’une des plus grandes responsabilités : la vie de chacun. La sécurité des produits et le marketing thérapeutique sont deux enjeux majeurs du secteur, qui plus est quand les Etats-Unis représentent 50% de son marché final. Les risques de litiges y sont matériels. De manière plus globale, l’accès aux médicaments, notamment dans les pays émergents, requiert une éthique des affaires exemplaire pour espérer toucher ces marchés en devenir.
Tous ces éléments militent pour la prise en compte de l’analyse ESG dans l’analyse financière des valeurs. Compte-tenu des bons fondamentaux financiers du secteur, nous sommes confiants dans sa capacité à faire face à ces défis. En effet, le secteur reste globalement bien noté par les agences de crédit puisque son endettement est limité (Dette nette/EBITDA ~1,1). Dans les plus grandes capitalisations, seuls les groupes produisant des génériques et les acteurs ‘non-core pharma’ s’approchent des notations spéculatives. Il faut dire que les grands laboratoires dégagent des marges opérationnelles stables et confortables, de l’ordre de 30% en moyenne pour les groupes européens qui alimentent des cashflows récurrents.
Ces derniers viennent alimenter un M&A qui reste un thème clef du secteur pour créer des franchises fortes avec du pricing power et diminuer la concurrence sur un segment convoité. Les biotechs sont des cibles privilégiées pour alimenter en externe la R&D et enrichir le pipeline de médicaments. A condition de ne pas surpayer, tous les moyens sont bons pour assoir sa légitimité sur les domaines thérapeutiques en demande de solution, et saisir les opportunités de croissance en perspective.
[1] Selon un Etude publiée par l’université de Cambridge, les personnes obèses de classe III voient leur espérance de vie diminuée de 7 à 14 ans. https://doi.org/10.1371/journal.pmed.1001673
[i] Source: The 2017 EU Industrial R&D Investment Scoreboard (graphique). http://iri.jrc.ec.europa.eu/scoreboard17.html